de Peter Weir (1989)
« On ne lit pas, ni écrit de la poésie, parce que c’est joli. On lit et écrit de la poésie car on fait partie de l’humanité. Et l’humanité est faite de passion. La médecine, le droit, le commerce sont nécessaires pour assurer la vie, mais la poésie, la beauté, la romance, l’amour, c’est pour ça qu’on vit.»
(Le cercle des poètes disparus)
La conception que l'on se fait de l'éduction n'a cessé d'évoluer à travers les siècles. Gargantua a fait les frais d'une éducation traditionnelle, médiévale, axée sur le "par cœur" et l'obéissance aveugle à la règle sous la toute puissance de ses maitres sophistes, avant de recevoir les cours humanistes de Ponocrates qui lui ont permis d'éveiller sa curiosité et d'ouvrir sa réflexion. A partir des Lumières, l’éducation n'est plus seulement transmission des savoirs mais opportunité d'émanciper les esprits, de former des hommes libres (les femmes devront attendre encore un peu ! mais ça c'est un autre débat^^) .
L'apprentissage de la liberté, voilà ce que propose ce professeur farfelu du cercle des poètes disparus.
« Je veux forger des esprits libres » dit Keating.
Je ne saurais plus dire à quel âge j’ai vu ce film pour la première fois, seize, dix-sept ans peut-être… Je ne saurais pas dire non plus combien de fois je l’ai regardé depuis. S’il n’a pas été à l’origine de mon désir d’être prof ( ça je le dois à ma prof de français de 4e) en tout cas il a façonné la vision que je me fais du métier. J’aime la folie, l’enthousiasme, la fantaisie de ce Mr keating , son anticonformisme. Il se donne pour mission d’apprendre à ses étudiants à sortir du rang, à penser par eux même, à s'épanouir en célébrant, à travers la littérature, la vie, l’amour, la poésie. Il leur enseigne l’art de profiter de l’instant présent, de savourer les mots et le langage. Un apprentissage de soi et une leçon de liberté puisée au cœur des livres.
Mr Keating est avant tout un professeur de liberté. Son enseignement agit comme un révélateur. En faisant le mur de leur établissement pour rejoindre une grotte au beau milieu de la nuit, ces jeunes redonnent vie au « cercle » initié par leur professeur. Cet endroit perdu au cœur de la forêt est une sorte de sanctuaire, un lieu de tous les possibles, une bulle d’indépendance où l’imagination est reine. On y lit des poèmes ou des textes d’auteurs . On se risque parfois à partager ses propres écrits. La magie opère, empreinte de romantisme. « Je voulais chasser tout ce qui dénaturait la vie pour ne pas, au soir de la vieillesse, découvrir que je n’avais pas vécu ! » A un niveau bien plus modeste, j’adore entendre, à la sortie du cours, les élèves parler entre eux d’un personnage comme si c’était l’une de leurs connaissances ou débattre d’un passage de roman qui les a bousculés un peu… A ce moment là précisément, ce n’est plus de la littérature, c’est de la vie. Ils s’approprient les mots, deviennent des alchimistes qui transforment l’encre en une réalité porteuse de réflexion pour mieux s’ancrer dans l’aujourd’hui…
« sucez la moelle secrète de la vie… »
Ces deux expressions, que l’on trouve dans le film et qui nous viennent l’une du poète antique Horace et l’autre de l’humaniste Rabelais dans son prologue de Gargantua, vont dans le même sens… Elles invitent à goûter ce que la vie a de meilleur et de plus précieux. La littérature devient un moyen d’accès à d’autres horizons, une formidable façon de dépasser les frontières, de sortir des carcans pour aller à la rencontre de l’autre et de soi.
Je ne suis pour ma part jamais montée sur le bureau ( au mieux je m’assois dessus ou je grimpe sur une chaise pour atteindre le vidéo projecteur ou le haut du tableau !) mais j’aimerais pouvoir me dire, lorsque l’heure de la retraite aura sonné, que j’ai aidé mes élèves à trouver leurs propres voies (et voix), à oser se mettre debout sur leurs tables pour affirmer leurs idées et envisager leur avenir un peu plus loin, en dehors des sentiers battus.
La littérature des siècles passés n’a de véritable sens que lorsqu’elle devient moyen d'appréhender aujourd’hui et de grandir. Voilà, pour moi, le sens de l’enseignement des Lettres, voilà l'intérêt d’un Baudelaire, d’un Hugo ou d’un Voltaire… bousculer les certitudes, ouvrir les esprits et les cœurs, transformer les regards, provoquer l'audace d'écrire sa propre rime…
(Bridg)
« Que le prodigieux spectacle continue
et que tu peux y apporter ta rime…
Quelle sera votre rime ? »